Cathédrale de Chartres, Photo de Laetitia Martini.

- Tailleur de robes provinois en 1250 -

Rédigé par Jérémy

Septembre 2013

     Le tailleur de robes ou parfois appelé costurier[1] est l’artisan chargé de confectionner une partie des vêtements de la vie quotidienne. Les habits masculins et féminins sont très proches, voir identiques durant cette période. Le terme « robes » ne désigne pas l’habit de ces dames, mais  au contraire un ensemble de vêtements. Les principaux éléments, cotte, cotte sans manche, mantel, chaperon, semblent être désignés par le terme garnement (Franklin les corporations ouvrières du XII au XVIIIe siècle).

 

 

Un métier au coeur de la vie quotidienne provinoise :

     En 1250 Provins est un carrefour commercial européen très important[2].  Des foires s’y déroulent toute l’année. La première, en novembre, est celle de Saint Martin, commençant « le jour où mourut Saint André ». La seconde est celle de mai. La troisième, la foire de Saint Ayoul commençant le 16 septembre. Ajoutons à cela les marchés locaux hebdomadaires (Felix Bourquelot, Histoire de Provins Tome 1).  Cette effervescence densifie énormément sa population. Cette dernière atteint, pour les estimations les plus fortes, entre trente mille et quarante mille habitants[3]. Soit l’équivalent de villes comme Strasbourg ou Lille[4]. Chaque foire provoque des flux migratoires très importants. Cette population, essentiellement de passage, rend opportun l’établissement de tailleurs de robes à Provins. Les marchands, artisans, acheteurs, en transit sont naturellement enclins à utiliser les services de tailleurs  professionnels pour confectionner des vêtements qui devront être rapidement disponibles.  La  réglementation de cette profession est nous le verrons tout à fait adaptée à l’urgence de ces situations.



 
Claude Chastillon XVIe siècle

Provins dans sa configuration médiévale.

Les remparts et nombre d'édifices visibles témoignent de sa richesse.

Les principaux : 

A : La tout César

B : la collégiale Saint-Quiriace

C : le palais Comtal, actuel lycée Thibault de Champagne.

F  : l'église Saint-Ayoul 

Un métier très réglementé :

     Comme de nombreux métiers au XIIIe siècle, la profession « tailleur de robes » est très encadrée. La source principale qui sera utilisée ici est le livre des métiers d’Etienne Boileau. Témoin inestimable de la vie professionnelle parisienne en 1268. Bien que réalisé pour la capitale du royaume de France, Provins devait posséder une réglementation très proche. Elle rentre en effet dans les 17 villes appelées : les villes de loi. « Vous savez bien comment qu’il siet, Que c’est l’une des dix-sept » ( Felix Bourquelot, Dit du lendit rimé, Histoire de Provins p 421).

     Ces cités sont connues pour posséder une juridiction et un encadrement de la vie professionnelle. Le livre des métiers donne les règles pour devenir tailleur et pratiquer cette profession.

Le métier : tailleur de robes est libre et gratuit, chacun peut donc décider de s’installer. Cependant il faut respecter deux conditions : « pour qu’il sache fere le mestier et il ait de coy ».

Il faut donc savoir tailler et avoir les moyens de s’installer. A la demande de l’artisan, le statut de maître peut lui être délivré par trois jurés qui sont chargés d’évaluer son travail de taille et de couture.

     Une fois devenu maître, le tailleur peut avoir un nombre illimité d’apprentis, d’ouvriers et définir les règles d’apprentissage. Privilège rare au XIIIe siècle, il peut travailler à la lumière des bougies pour répondre à des commandes de dernière minute. Elément incompatible avec l’obligation de guet, dont les tailleurs se plaignent fortement et demandent l’abrogation. Certains clients ne peuvent attendre.

     De jour ils doivent comme tous les artisans travailler à la vue du public pour que les passants et éventuels clients puissent juger la qualité du travail. L’étoffe est fournie en général par ces derniers qui en cas d’erreur de taille ou de couture, se voient indemniser. Le tailleur devant payer une amende supplémentaire de 5 sous aux Jurés. Il est également sanctionné, s’il confectionne des braies des chausses ou tous autres éléments ne rentant pas dans son domaine de compétence.  La réalisation des chausses et des braies sont dévolues respectivement aux chaussiers et au braliers de fils (Livre des métiers, Etienne Boileau 1268)

     Cet ouvrage nous permet de connaître la réglementation de ce métier mais également son organisation. Deux statuts apparaissent nettement : le maitre tailleur et ses valets couturiers, ou tailleurs en apprentissages.

Un artisan, un statut ?

Drapiers, Vitraux de la cathédrale de Chartres, photo de Laetitia Martini.

 

     La filière textile médiévale est constituée d’une myriade d’artisans et de marchands. Les drapiers sont sans aucun doute,  ceux étant socialement les plus élevés. Ils contrôlent l’ensemble des transactions de la matière première du tailleur : le drap de laine. Ils sont omniprésents dans l’iconographie. Ils n’hésitent pas à contribuer à la construction des cathédrales, comme en atteste leur présence sur les vitraux de Chartres en tant que donateur. A Provins, leur hégémonie est indiscutable et leur révolte en 1280  conduira à l’assassinat du Maire de la ville Guillaume de Pentecôte. [5]

     Aux antipodes, les tailleurs et les couturiers font partis des ouvriers du textile. Le maitre tailleur est socialement au-dessus de ses valets ou apprentis, mais il est difficile de déterminer clairement son statut social.  Nous pouvons tout de même émettre certaines hypothèses :

 Il ne facture que son travail et non le tissu, qui lui est fourni le plus souvent par son client.  Un éventuel profit lié à la vente des étoffes lui échappe donc.

     La concurrence est importante.  Elle est domestique, partout les femmes et les jeunes filles cousent[6] de sorte que la majorité des réparations et certainement quelques confections lui échappent. Le Dit de Ménage fait la liste des différents ustensiles indispensables à la maitresse de maison : quenouille, fuseau, dévidoir, aiguilles, forces, ect… [7] (Danièle Alexandre-Bidon et Marie Thérèse Lorcin, Le Quotidien au temps des fabliaux.) Nous y trouvons donc deux outils essentiels au tailleur : les forces et les aiguilles.

     La concurrence est également professionnelle. Cette fragmentation des métiers, accentuée au XIIIe pour garantir une qualité accrue des productions, a pour effet une hyperspécialisation des activités (Jean Favier, Le Bourgeois de Paris au Moyen-âge, 2012).

     Dés lors, apparaissent des artisans ayant les mêmes compétences. S’en suit de nombreuses procédures et rivalités visant à limiter  les possibilités de chacun. Il ne devait pas être rare que le chaussier, entre autre, accepte de réaliser divers garnements.

 

     A la lumière de ce raisonnement, Tailleur de robes apparaît comme un métier peu rémunérateur. Cette situation précaire est confirmée par l’étude des tailleurs de Toulouse ou sur 8 artisans recensés, 5 sont possesseurs de biens valant entre 20 et 40 livres.( Véronique Terrasse, Provins : Une commune du comté de Champagne et de Brie 1152-1355),

     Malgré tout, quelques grandes fortunes issues de ce métier sont visibles au fil des sources. Toujours à Toulouse un tailleur rentre tout de même dans les fortunes supérieures à 500 livres.

     Un Fabliau, Le tailleur du roi, raconte également l’angoisse grandissante du maître artisan ne retrouvant pas ses forces, alors que le roi lui a commandé en urgence des habits somptueux (Danièle Alexandre-Bidon et Marie Thérèse Lorcin, Le Quotidien au temps des fabliaux).  Etre en charge des vêtements d’une cour royale ou simplement comtale dans le cadre de Provins, assure sans aucun doute des revenus importants.

     Un artisan a également attiré notre attention : Geoffroi de Merich. Il apparaît comme étant tailleur le pavillonnier du roi d’Angleterre Edouard 1er. Il semble cumuler ces deux activités professionnelles. Cet artisan est chargé de l’entretien et certainement de la confection des tentes royales. Il suivrait alors le roi durant ses campements itinérants. Nul doute que nous soyons en présence d’un artisan socialement très élevé ( Fréderique Lachaud, les tentes et l'activité militaire). 

 

 

Un statut en fonction de la clientèle :

     La majorité des tailleurs de robes sont vraisemblablement de condition moyenne pour ne pas dire basse. Ils sont en charge des vêtements de la population. Seuls les maitres rentrent dans les premières couches de la bourgeoisie, qui dans la seconde moitié du XIIIe siècle sont accessibles via l’installation, la domiciliation et l’indépendance de l’artisan. (Jean Favier, Le Bourgeois de Paris au Moyen-âge,  2012).

     Cette qualification lui donne accès  à des clients plus aisés et augmente son niveau de revenu.

     Certains arrivent à faire fortune, en ayant une clientèle d’exception et en vivant dans un lieu propice à cette activité. Provins en 1250 fait parti des ces villes où des artisans peuvent sans aucun doute faire fortune.

Une reconstitution délicate :

     Contrairement à certains métiers voués à la précarité (ourdisseurs, fripiers…), reconstituer un tailleur de robes semble offrir une grande latitude quant au choix du statut social. C’est effectivement le cas ici, puisque par chance, le personnage choisi est domicilié à Provins dont l’effervescence au XIIIe siècle n’est plus à démontrer. Cette prise en compte du contexte dans lequel s’inclut le personnage est indispensable. Une ville dénuée de réglementation, ne pourra tout simplement pas engendrée de maitres artisans et donc de Bourgeois en son sein. Cette précision nous paraît importante et inclut le travail présenté ici dans une démarche globale qui vise à inscrire le personnage reconstitué dans un cadre cohérent.

     Vous découvrirez prochainement cette reconstitution dans une seconde partie de l’article.

Notes : 

[1] Souvent confondus, ces deux termes sont dissociés dans le livre des métiers de Boileau (1268) et celui de Tailles (1292), renvoyant respectivement aux tailleurs et aux couturiers.

[2]« Les relations commerciales au XIIIe siècle »,  Atlas historique Duby p111 ed Larousse.

[3]«  L’enquête du XVIIe déjà citée, évoque la présence de 40000 habitants » Véronique. Terrasse, Provins, une commune du comté de champagne et de brie (1152-1355), p99. 

[4] A noter qu’aujourd’hui la population de Provins dépasse de peu les 10000 habitants.

[5] « […] cet infortuné magistrat périt massacré par les ouvriers drapiers de Provins… » Felix Bourquelot Notice sur le manuscrit intitulé Cartulaire de la ville de Provins,XIIIe et XIVe siècles [premier article].In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1856, tome 17. pp. 193-241.

[6] « Il est difficile […] de distinguer, en fouille, l’artisanat de la simple couture domestique » Danièle Alexandre-Bidon et Marie Thérèse Lorcin, Le Quotidien au temps des fabliaux.

[7] « L’oustillement du vilain et le Dit de Ménage […] aiguilles, forces… » Danièle Alexandre-Bidon et Marie Thérèse Lorcin, Le Quotidien au temps des fabliaux. 

Bibliographie : 

 Monographie des villes et villages de France, Histoire de Provins, Tome 1 Félix Bourquelot 1839

 Notice sur le manuscrit intitulé Cartulaire de la ville de Provins XIIIe et XIVe siècles, In :              Bibliothèque de l’école des chartes, Félix Bourquelot 1856.

 Le Bourgeois de Paris au Moyen-âge, Jean Favier, 2012.

 Les corporations ouvrières de Paris, du XIIe au XVIIe siècle, Franklin, 1884.                        

 Le Quotidien au temps des fabliaux, Danièle Alexandre Bidon et Marie Thérèse Lorcin 2003.        

 Provins, Une commune du comté de Champagne et de Brie (1152-1355), Véronique Terrasse, 2005.  

 Actes et Comptes de la commune de Provins de l’an 1271 à l’an 1330, Société d’histoire et      d’archéologie de l’arrondissement de Provins, Maurice Prou, Jules d’Auriac, 1933.        

 Atlas historique Duby, 2008 .

 Les tentes et l'activité militaire. Les guerres d'Edouard Ier Plantagenet (1272-1307), Lachaud      Frédérique. 1999.