- Essais sur le Heaume entre 1170 et 1205 -

Par Julien, ancien membre et président de l'association

     J ’ai tenté ici de présenter l’évolution et les types de protection de tête ayant coexisté pendant la période allant de 1170 à 1205 environ. A ma connaissance aucune étude sur les heaumes de la fin du XIIème siècle n’a été établie à ce jour. Cette « revue » des heaumes n’est pas exhaustive. Je présente les pièces que je pense être les plus représentatives de cette époque.

     J’ai classé les heaumes par ordre chronologique. Un heaume daté de 1170 pouvait avoir été contemporain d’un autre daté 1185. Gardez à l’esprit qu’au XIIème siècle rien n’était standardisé en matière d’équipement militaire, ce dernier étant à la charge des combattants. Par conséquent la désuétude devait très certainement côtoyer le dernier cri en fonction du rang du combattant ou «miles».

     Il me semble qu’une fourchette de trente ans soit acceptable pour déterminer la durée de vie d’un heaume (ce qui correspond également à la période déterminée comme étant celle entre deux générations à cette époque). Il est vraisemblable que les protections des années 1170 aient survécu jusqu’en 1200 chez les guerriers les plus pauvres ou bien aient été «recyclées» à l’usage des sergents (servientes pedites et equites) ou de miliciens communaux. Les sources qui mettent en scène vers 1200 les milices urbaines, notamment italiennes, montrent des combattants à l’équipement désuet et déjà en usage chez le cavalier des années 1170 - 1175. Par contre le fait qu’une tradition de legs des heaumes entre générations de combattants eut cours en cette fin de XIIème siècle ne nous semble pas vraisemblable. D’une part le heaume étant un élément de protection fait de plaques de métal, donc rigide, il est difficile de le réadapter à la morphologie d’un nouveau propriétaire. D’autre part l’essor commercial et monétaire survenu à la fin du XIIème siècle a certainement permis aux «milites equites» (bénéficiaires de premier ordre de cette «révolution économique et sociale» qui redistribue les cartes du monde de la féodalité entre grands «dominus» et la classe de ceux qu’on appelle les «chevaliers») d’investir plutôt que de compter sur l’héritage d’un heaume mal ajusté et insuffisamment protecteur. Notons qu’il ne devait pas en être de même pour les hauberts, pièce du harnois beaucoup plus dispendieuse, plus facile à faire réparer et dont les capacités d’étirement permettaient plus aisément le changement de propriétaire.



De l'esthétisme général et de la forme :

     On discerne 3 grandes familles de formes parmi les heaumes de la fin du XIIème siècle. La première est la survivance des heaumes de type Spangenhelm que l’on désignera sous le vocable «conique». La deuxième est la forme dite en «Bombe». Enfin vient la famille des «timbres plats». Ce classement tient compte de l’apparition chronologique de ces trois types de «mise en forme» par action de forge.

Les heaumes coniques

     La forme conique regroupe tous les casques monoblocs ou composés de plusieurs plaques rivetées entres elles ayant une forme de cône. Citons à titre d’exemple deux pièces archéologiques illustrant ces deux modes de construction : le Spangenhelm en plaques rivetées du Metropolitan Museum of Art de New York et le heaume d’Olmutz (ci-dessous), forgé d'une seule pièce, exposé au Kunshistorshes Museum de Vienne. Le Spangenhelm est incontestablement le casque le plus ancien. Il est l’héritier du savoir des forgerons de l’antiquité et du haut Moyen-Âge. La mise en forme de type Spangenhelm ainsi que la mise en forme d’une seule pièce restent très présentes dans les sources de la fin du XIIème siècle. Ce type de heaume constituant ainsi une norme défensive pour le combattant à cheval depuis le haut Moyen-Âge jusqu’au début de la période que nous nous sommes donnés d’étudier. Dans les années 1170-1175 les heaumes de type cônique ou phrygien (variante que nous rangeons dans cette catégorie) restent prédominants et semblent constituer comme nous l’avons déjà dit la norme défensive de rigueur dans l’équipement des « milites equites ».

     A partir de 1180, jusque dans les années 1190-1195 ils sont moins visibles, et côtoient alors la forme en bombe . Après cette date, ils coiffent très rarement les «milites equites» et semblent retrouver un second souffle chez les gens de pied («servientes pedites»). La forme conique connaît des aspects variés, elle est haute ou ramassée, se termine en pointe ou est tronquée légèrement, parfois un «bouton» prend place à l’apex. Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai classé le heaume de forme phrygienne dans la «famille» des heaumes de forme conique. Attardons-nous un instant sur cette variante. Le heaume de forme phrygienne émerge au court du XIIème siècle et se diffuse dans l’ensemble des états d’Occident. Cette forme existait bien avant le XIIème siècle. On la retrouve dès l’Antiquité chez les peuples Thraces, elle connaît également un certain succès chez les grecs et les romains en guise de couvre-chef. Pour ce qui est de sa diffusion au XIIème siècle en Europe occidentale, il semblerait que le phrygien soit l’adoption d’une mode «orientaliste» très certainement Byzantine. A la fin du XIIème siècle, le heaume phrygien vit ses dernières années, malgré des apparitions sporadiques dans les sources au cours du XIIIème siècle sous forme de convention graphique destinée à identifier les combattants païens et orientaux. Son usage courant s’arrête brutalement autour des années 1190-1195. L’aspect de la forme phrygienne est très diversifié, tantôt la protubérance supérieure semble être saillante , piquante et s’élève très haute, tantôt elle est ramassée, adoucie et presque ronde

     Entre 1170 et 1190, le heaume phrygien cohabite avec les heaumes de types conique et à timbre en bombe sans qu’il soit possible de dégager une préférence à une forme plutôt qu’à une autre. Certaines sources lui font néanmoins la part belle. Le Hortus Deliciarum en montre un très grand nombre. Sur 35 heaumes observés, 23 adoptent la forme de la figure de gauche ci-dessous. Le plus souvent à nasal (figure du milieu ci-dessous), on le voit également pourvu d'un masque facial à plusieurs reprises (figure de droite ci-dessous). Outre le fait d’être à la mode, le phrygien revêt-il les mêmes vertus protectrices que le heaume conique standard ?

     Bien qu’il soit difficile de répondre objectivement à cette question sans avoir pratiqué de «tests», nous supputons qu’il est plus prompt à dévier les coups frontaux en les «chassant» sur les côtés, surtout dans le cas d’un choc occasionné lors d’une charge à la lance. Il offre certainement une meilleure résistance à la déformation, l’arrête centrale formant une «flûte» très résistante contre les coups latéraux. Les échanges en «flux tendu» entre l’Orient et l’Occident dans ce siècle de croisades font que d’une manière générale, l’influence byzantine en matière militaire est omniprésente au XIIème siècle (influence que l’on retrouve dans l’art en général). L’exportation du «savoir-faire» rend possible le progrès en matière d’éléments de protection individuelle et leur adoption par le combattant d’Europe de l’Ouest. Notons qu’à cette même époque les États Latins d’Orient subissent en la matière une influence combinée des «Turques» et des «Byzantins», les derniers subissant l’influence des premiers. L’usage presque exclusif du heaume de forme conique perdure tout au long des XI et XIIème siècles (la tapisserie dite de Bayeux nous en livre un témoignage éloquent), mais ce dernier cède sa place vers 1170-1180 à une autre forme, le heaume dit à timbre en «bombe».

Les heaumes à timbre en bombe («Hanepier ; Henepier»)

     Le heaume de type conique se transforme donc peu à peu, très certainement sous une influence venue de l’Est (Levant, Byzance), il s’aplatit légèrement pour donner une forme que nous qualifierons «de timbre en bombe». La terminologie guerrière de la fin du XIIème siècle le qualifie de heaume «Hanepier» ou «Henepier». On observe les premiers heaumes de ce type dès les années 1170-1175. Philippe d’Alsace en est coiffé sur son sceau équestre (ci-contre) en 1170. La «bombe» se démocratise de 1170 à 1190. Cette forme de heaume coiffe les «milites equites» assez systématiquement à partir de 1180. Il est présent sur de nombreuses sources mettant en scène les «croisés» de la troisième croisade. Il semble qu’il soit très lié à cette expédition militaire, ou tout du moins à sa représentation. Néanmoins, son existence est brève ; en 1195 environ l’apex tend à s’aplatir de plus en plus, pour atteindre la dernière forme de l’évolution du casque de cette période, celui à timbre plat (ci-dessus).

     Quelques heaumes en bombe présentent des «facettes». C’est-à-dire que leurs surfaces ne sont pas des bombes lisses et régulières, mais elles se composent de facettes plates. On observe ce type de heaume sur le Gisant de Guillaume de Cliton, Comte de Flandres, ou bien encore sur une colonne statue (ci-dessous) retrouvée entre deux murs de Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-en-Champagne. Au regard de la rareté des pièces de ce type, je pense que cette technique était mal maîtrisée, peu connue ou dépréciée des heaumiers occidentaux. Les pièces pouvaient alors provenir d’importations ou bien encore être l’objet de «commandes particulières»

Les heaumes à timbre plat

     Le heaume à «timbre plat» se démocratise à l’extrême fin du XIIème siècle, vraisemblablement autour de l’année 1195. Le plus connu est celui que Richard Cœur de Lion arbore sur son sceau équestre en 1199. Certes, il existe quelques exemples avant cette date. Comme l’essai maladroit de Philippe d’Alsace en 1181 qui porte sur son sceau un heaume à timbre plat, dont le «fût» semble mesurer près de deux fois la hauteur de sa tête (peut-être une convention graphique). Ce type de heaume, résolument moderne (surtout celui du sceau de Richard Cœur de Lion), annonce le petit heaume français qui se démocratisera et prendra son essor autour de 1210-1220. En attendant cette date, les heaumes prennent la forme à timbre plat presque dans leur intégralité vers 1200. Il est d’ailleurs étrange de constater que les sources nous montrent quasi-exclusivement ce type de protection à partir de cette date. A contrario, dans les décennies qui la précèdent, il est courant de rencontrer des casques de formes diverses, le désuet côtoyant le dernier modèle «à la mode». A partir de 1200, il semble que cette diversité ne se rencontre plus. Le heaume à timbre plat est forgé d’une seule pièce, ou bien un disque ovoïde (formant l’apex) est riveté à un « tube » de métal qui vient ceindre la tête. On rajoute alors un masque facial et parfois une petite plaque qui couvre l’arrière de la boîte crânienne. L’ensemble de la classe des combattants à cheval a opté massivement pour ce nouveau type de protection. Doit-on en conclure qu’une «industrialisation» ou une «mécanisation» soit intervenue dans sa production ? Je ne peux pas répondre... Néanmoins il semble que sa conception soit moins fastidieuse, moins «technique» que la forge des heaumes précédents, le rendant peut être directement abordable au plus grand nombre, même aux «milites equites» les moins argentés. Le fait que les opérations de forge soient moins longues, que l’ajustage en soit plus aisé, ont certainement réduit le coût de ce heaume, expliquant peut-être ainsi sa diffusion si rapide (commande, achat, entretien, réparation).

Le nasal ("nasial", "nasiel")

     Le premier élément observé, le plus présent sur les sources, le plus anciennement utilisé, presque emblématique de la période dite «féodale», est le nasal. Son origine est très ancienne et remonte à l’Antiquité. Au début de la période du Moyen-Âge classique (1000-1150), on l’observe sur un nombre important de sources. Sur la tapisserie dite de Bayeux, certainement la plus populaire des sources de cette période, tous les combattants sont coiffés de heaumes à nasal. La deuxième moitié du XIIème siècle voit l’émergence de nouvelles formes de heaumes, mais le nasal est encore majoritairement présent de 1150 à 1200, date qui marquera son déclin. Selon la technique utilisée, le nasal est rapporté par rivetage, monobloc du bandeau ou bien forgé d’une pièce avec le timbre à l'instar du heaume d’Olmutz, forgé en une seule pièce, exposé au Kunshistorshes Museum de Vienne (voir image plus haut). On observe le nasal sur toutes les formes de heaumes. Le nasal protège le plus souvent le nez, mais il couvre parfois la bouche, le menton et même la glotte (image ci-dessous à droite).

L’usage millénaire du nasal n’a pas empêché les forgerons de la fin du XIIème siècle d’innover en lui apportant des modifications et en le transformant. 

Le nasal « masque » (« joière »)

"Liber ad Honorem Augusti" de Peter d'Eboli, 1190, Allemagne, Burgerbibliothek, Bern, Ms Cod. 120 II f°109r

     Autour de 1180 apparaît une nouvelle forme de nasal, que j’ai qualifiée de «nasal masque» ou «joière» pour reprendre le terme utilisé à cette date. Il s’agit d’un nasal élargi, destiné à protéger les joues. Cette innovation est déjà visible vers 1170 sur un heaume à timbre en «bombe» où l’on observe un étirement du nasal lui-même sur les joues, formant ainsi un T parfait inversé . Cette timide innovation est suivie dans les années 1180-1190 par le rivetage d’une plaque indépendante formant ainsi un T inversé plus couvrant, protégeant la bouche, le menton et les joues; on peut citer pour exemple ce pion de tric trac représentant un chevalier chevauchant un coq, (fin XIIème siècle, Louvre, France). D’autres sources nous montrent des nasals « masques» ajourés de trous ou de fentes verticales afin de faciliter la respiration. Certaines sont manuscrites (BNF, Ms Latin 7936, F°74v°), d'autres statuaires comme le gisant de Guillaume de Cliton (1185), d’après un dessin d’A.de Succa (1602, Bruxelles, Bib. Roy. Ms. II 1862 D. f°96) déjà montré plus haut. Le nasal «masque» semble être une réponse trouvée à la préoccupation des heaumiers à protéger plus efficacement le visage. Nous ne pensons pas qu’il faille y voir un pré-masque, les deux coexistant aux mêmes dates, mais plutôt une alternative entre innovation et conservatisme de la caste combattante.