En-tête : Calendrier de l'Eglise de Brinay, Mois de juin, la fenaison, XIIe siècle. Photographie : Laetitia Martini

- Les braies occidentales aux XIIe et XIIIe siècles -

Le principe du rasoir d’Ockham* appliqué à la reconstitution historique

*Le principe du rasoir d'Ockham est un principe de raisonnement qui pourrait se résumer ainsi : "Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?".

Par Bernard, Laetitia et Sébastien

Rédigé en juin 2015

Saint Laurent, Cathédrale de Bourges, avant 1214. Laetitia Martini

     Les braies sont souvent le premier élément du costume que l’on enfile, le dernier que l’on ôte. Pourtant, les reconstituteurs se penchant sur le costume masculin occidental du XIIIe siècle ne lui ont pas accordé la même attention qu’à d’autres pièces de l’habillement.

     Est-ce parce que quand on est entièrement habillé, on les voit peu voire pas du tout ? Que le peu qu’on en voit est souvent conforme à ce qui peut se voir sur les enluminures ou les statues du XIIIe siècle : une masse plissée, ample, sorte de « couche-culotte » dont on s’amuse de la silhouette ?

 

Calendrier, Cathédrale d'Amiens, 1230-1240. Laetitia Martini

Patrons de braies usuels

Remarque : les patrons donnés ici sont volontairement succincts car ils ne sont pas l’objet de cet article, bien au contraire.

 

     En effet, à la vue des nombreux personnages en simples braies sur les sources des XIIe et XIIIe siècles on pourrait se satisfaire du rendu des patrons qui circulent habituellement dans le milieu de la reconstitution historique. Les sources nous montrent un sous-vêtement ample à l’entre-jambe, fendu sur les jambes, avec rabats attachés ou non au braiel (ceinture qui maintient les braies et permet d’y attacher les chausses), mais surtout, une sorte de rouleau à la taille, très fréquent.

 

     Voici quelques exemples des braies les plus connues du XIIIe siècle, qui ne trouvent ni solution, ni explication dans les systèmes de braies cousues.

Bible dite de Maciejowski, folios 12v,25r ,35v, 38v, France, mi-XIIIe, Pierpont Morgan Library, New-York.
Martyre de Saint Hippolyte, retable de l' église abbatiale bénédictine de Saint-Denis, Louvres, 2e quart XIIIe . Photographie : Laetitia Martini

 

     Les patrons les plus souvent partagés (que nous nommerons « T », « Y » et « U » inversés) répondent à ces critères mais d’une façon presque forcée, rendant mystérieux certains détails de cette pièce de vêtement, notamment le « boudin » à la taille, qui n’a alors aucune autre justification que de répondre à un critère esthétique. Pire : les solutions proposées pour obtenir ce rouleau de tissu avec ces patrons, entravent l’attache des chausses en rendant inaccessible le braiel sans le recours à des œillets. Alors, s’il est certain que la présence d’œillets est attestée sur certaines sources, ce rouleau pose de vraies questions.

 

Le type « T » inversé :    

Croquis succinct du patron en « T » inversé. LM

     Avec ou sans pièce sur les hanches (non représentées ici), ce patron est constitué de 2 pièces principales. Un tube pour les jambes, et une pièce plus ou moins grande pour la partie supérieure. Plus cette partie est haute, plus on obtient un rouleau sur les hanches en la roulant. C’est dans cette pièce que sont taillés des œillets pour le braiel, ou des passants si la pièce n’est pas très haute.

 

     Depuis le fameux « taylor’s assistant » (dont personne ne veut assumer s’être inspiré et qui a été pourtant repris maintes fois jusque dans des publications très récentes) ce patron est le plus communément utilisé. L’ampleur à l’entre-jambe est respectée ainsi que les fentes sur les jambes si on ne coud pas les longueurs jusqu’au bout. Quant au boudin, il suffit d’agrandir la barre verticale du « T » inversé pour rouler le tissu sur la taille. Dans quel but pratique ? Aucun, sinon coller à la source esthétiquement parlant. Les rabats sur les jambes ? Impossible car pas assez de tissu sur les jambes. Sans parler du braiel enfoui sous le rouleau de la taille si on retient cette option.

 

Le type « Y » inversé :

Croquis succinct du patron en « Y » inversé. LM

     Ce patron est une variante du « T » inversé. Tout comme lui, une pièce plus ou moins grande peut être ajoutée pour obtenir du tissu à rouler sur la taille. Sur le croquis proposé, cette pièce est réduite au minimum pour y passer le braiel. Le « Y » inversé endosse donc les qualités de ressemblance du « T » inversé mais aussi, malheureusement, les défauts de conception et d’explication logique de certains aspects. Il a peut-être été inspiré du sarouel oriental, ce qui légitimise son utilisation par l’existence de l’objet, même si ce n’est pas dans la même zone géographique.

 

Le type « U » inversé :

Croquis succinct du patron en « U » inversé. LM

     Ce patron astucieux permet de partir d’un simple rectangle de tissu, de le fendre en partie sur plusieurs longueurs et d’utiliser peu de coutures. Outre l’ampleur à l’entre-jambe et la fente le long des jambes respectées, l’ampleur que l’on peut donner aux jambes permet de rabattre de façon convaincante les angles du bas des jambes. Cependant, toujours aussi mystérieux du point de vue pratique, le boudin à la taille empêche d’attacher ces rabats.

 

     Nous voyons donc que les patrons généralement utilisés permettent d’obtenir visuellement un résultat satisfaisant : des braies qui semblent conformes aux sources illustrées du XIIIe siècle. Mais quand on essaye de réfléchir au pourquoi et comment de certaines commodités de ce sous-vêtement, ces patrons semblent soudain douteux. Les travailleurs des champs sur les enluminures ou les sculptures sont les meilleurs testeurs de braies. Quand ils se trouvent vêtus à cause de la chaleur de cette unique pièce de vêtement, s’ils la rabattent, s’ils la roulent, cela a un sens pratique, et non esthétique puisque que les braies ne sont pas destinées à être vues.

Et si la solution était ailleurs ?

     Regardons ces sources byzantines respectivement des X-XIe et XIIe siècles représentant les quarante martyres de Sébaste. Malgré les particularités de l’art byzantin, de ses conventions et de son mode de reproduction, qu’il faut bien sûr prendre en compte, elles nous guident vers un nouveau raisonnement si nous parvenons à oublier toutes les solutions cousues proposées par la reconstitution.

 

     Comment voir dans ces différents aspects d’un sous-vêtement un vêtement cousu ? Ces œuvres sculptées dans l’ivoire ou peintes sur des murs d’église sont très parlantes. Pour la composition artistique, les auteurs se devaient de varier les postures de ces quarante martyres et de leur aspect « débraillé » (terme qui exprime ici tout son sens : « débraillé » venant de « braies »). Nous aurons beau juxtaposer autant de sources que nous le pourrons, l’expression artistique (enluminure, sculpture…), le lieu géographique, la date, le talent des artistes, les différents statuts des personnages représentées ou leurs activités, sont autant de paramètres qui peuvent rendre contestables des comparaisons. Ici, nous avons plusieurs personnages parmi quarante de condition identique, subissant le même sort, sculptés ou peints par le même artiste. Il existe différentes représentations du martyres de ces quarante soldats et toutes montrent un vêtement qui semble drapé ou qui ressemble parfois à un pantalon moderne, comme s’il s’agissait d’un même vêtement à différents stades de sa mise en place.

 

     Pourquoi mettre en œuvre un exercice de couture pour une pièce de vêtement si ample, plissée, fendue, entortillée, ne correspondant à aucune source archéologique (si on excepte les braies de la jeune infante Maria exposées à Las Huelgas, mais qui ne sont pas, de fait, des sous-vêtements masculins). Pourquoi rechercher des réponses dans ces efforts de couture quand toutes les solutions trouvées usent une grande quantité de tissu et rendent inexplicables ou mystérieux certains aspects des braies proposées à la reconstitution ?

 

     Et si nous appliquions le principe dit du rasoir d’Ockham à notre réflexion, à savoir « pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? ».

 

     D’un simple rectangle de tissu, sans couture, sans œillet, drapé sur la taille à l’aide du braiel nous pouvons obtenir visuellement le bon résultat : l’ampleur, le plissé, les fentes le long des jambes, des longueurs permettant des rabats et même le rouleau à la taille. Et, luxe appréciable, ces propositions (car il existe plusieurs façons de se draper d’un rectangle de tissu) expliqueraient le dit rouleau au lieu de le rendre mystérieux. Des solutions toutes simples, peut-être trop évidentes qui permettent de laisser le braiel accessible pour y attacher chausses et rabats des jambes, mais qui permettent aussi d’assouvir les besoins naturels sans se déshabiller.

 

     En résumé : une astuce simple qui répond aux critères esthétiques et qui expliquerait certaines caractéristiques qui peuvent paraître étranges,  comme les rabats ou le rouleau à la taille.

Mise en pratique

     Voici les différentes étapes de mise en place d'un des exemples de drapé de braies. Il en existe d’autres. Tous ne donnent pas le même résultat, mais permettent de retrouver certains détails de sources dans la façon de porter ce simple rectangle de tissu.

 

Les détails face au jugement des sources :

 

     Le meilleur moyen de retrouver les drapés qui pouvaient être mis en œuvre, est de s’attarder sur des détails de braies parmi les illustrations qui nous en sont parvenues. Le rendu d’un « boudin » enroulé, de portions tombantes, de relevé de bas de braies, de croisement de tissu sur les cuisses, de fixation sur les mollets…

Angleterre, c.1230, Medica, Trinity College Library, Cambridge

     Ici, nous nous sommes attachés à retrouver le rendu à la taille des braies de cette source 2e quart XIIIe.

 

 

 

Bible dite de Maciejowski, f18r, France, mi-XIIIe, Pierpont Morgan Library, New-York / Portail de l'Eglise Saint-Pierre, Strasbourg, XIIIe siècle.

     La taille du rectangle de tissu peut être variable, et permet d’obtenir des ampleurs différentes. Ici, un « fond de culotte » très large et très plissé. On peut observer ce surplus sur la Bible de Maciejowski et ses fameux paysans en braies.

 

 

 

Carnet de Villard de Honnecourt, f14v, c.1235
Détail f14v - fixation des chausses au braiel.

     Pour rabattre le bas des braies, de simples lacets suffisent, passant autour du braiel et se nouant sur un angle ou un bord des braies. Ces mêmes lacets permettent de fixer les chausses. Et non, pas besoin de bouton de tissu, un agrandissement du folio 14v du carnet de Villard d'Honnecourt (vers 1235), nous confirme qu'il s'agit d'un morceau de tissu pris dans le noeud du lacet.

 

 

 

Cathédrale de Chartres, le pauvre recevant le manteau de Saint Martin, 1205-1215. Photographies : Laetitia Martini

     Sur cette sculpture de la Cathédrale de Chartres du tout début du XIIIe siècle, on peut voir qu'au lieu de les fixer ou de les rabattre à l’aide d’un lacet, on peut rouler tout simplement le bas de ses braies.

 

 

 

Mazarine, Paris, fr, 1245-74

     L’apparition de fentes montant très haut pour les gens débraillés trouve une explication évidente ici.

 

 

 

Juillet passant la rivière, Cathédrale de Chartres, 1210-1225. Photographies : Laetitia Martini

     Certaines sources montrent des braies se croisant sur le devant des cuisses. Ce résultat s’obtient avec un autre drapé que celui présenté jusqu’ici. Il faut se draper la taille d’un des bords du rectangle de façon à se faire une longue jupe et faire passer ce qui pend derrière par devant et le coincer dans le braiel.

 

     Sur ces propositions initiales simples, il est possible d’ajouter quelques détails, tels des lacets en bas de jambes, voire des œillets, mais là encore, d’autres sources nous montrent que ce n’est ni indispensable, ni systématique.

Conclusion : braies cousues ou braies non cousues ?

     En lisant tout ceci, il serait facile de croire que nous considérons que les braies cousues sont une hérésie en reconstitution. Ce n’est pourtant pas aussi tranché.

 

     Premièrement : le principe du rasoir d’Ochkam n’est qu’un principe de raisonnement. En aucun cas, il assure que les hypothèses les plus simples soient les bonnes. Il peut mener à des propositions de reconstitution, mais il ne peut prouver leur véracité.

     Deuxièmement : certaines sources montrent clairement des passants à la taille ou des œillets, et donc la mise en œuvre de techniques de couture.

 

St-Gilles du Gard et St Trophime d'Arles, XIIe siècle

     Il serait donc absurde d’exclure les braies cousues sous le prétexte qu’on veut économiser tout acte de couture. Cependant, bien que ces sources montrent des passants ou des œillets, en aucun cas elles prouvent que le reste de l’ouvrage ait été cousu.

     C’est même certainement le cas des braies représentées dans cette source datant de 1215 :

Cathédrale de Chartres, 1205-1215. Photographie : Laetitia Martini

     Le plus probable est que, comme pour beaucoup de choses en reconstitution, il n’y ait pas qu’une seule et unique solution, que les braies cousues et non-cousues aient coexistées. Il est hors de notre volonté d'imposer une vérité (comme il est hélas bien trop fréquent de voir). Chercher une solution qui corresponde à tous les indices laissés par les sources historiques mène à coup sûr dans une impasse. Car il faut plusieurs solutions pour répondre aux détails des différentes sources.

 

     Si dans la plupart des cas, les braies non cousues correspondent aux sources de braies visibles (pour leur rendu visuel comme pour leur côté pratique), pour quelques autres cas, les braies cousues semblent possibles. Mais il se pourrait bien qu’elles ne soient pas l’option la plus fréquente ni la plus logique et la plus simple.

 

     Nous avons ainsi le sentiment que les braies non-cousues sont plus probables aux XIIe et XIIIe siècles pour expliquer certaines caractéristiques des représentations, et d’ailleurs, l’évolution de ce sous-vêtement au cours des siècles suivants, bien que rapetissant drastiquement, n’exclue pas qu’il puisse en être de même pour les XIVe et XVe siècle comme tendrait à le faire penser le fameux slip masculin du XVe siècle retrouvé au château de Lengberg, simple tissu non structuré avec des lanières.

( Lire article )

Château de Lengberg, XVe siècle

Autres pistes :

Jani Hyväri