- Le tournoi à la fin du XIIe siècle -

Par Julien (ancien membre)

Rédigé en 2004

     "Entre leurs lances ne peut courir le vent" (Chanson d'Aspremont, XIIème siècle)

 

Photographie Philippe Dumay

     

     Le mot « Tournoi » évoque en chacun de nous l'image d'Épinal de deux chevaliers lourdement armurés, lancés l'un contre l'autre de part et d'autre d'une lice, tentant de se désarçonner à l'aide de leur lance. Il s'agit effectivement d'un tournoi mais d'une conception assez tardive. Cette pratique « de duel » à cheval n'apparaît qu'au milieu du XIVème siècle.

 

     Bien entendu le tournoi en lice n'a pas vu le jour ex-nihilo. Il est l'évolution d'une pratique plus ancienne née, semble-t-il, au XIème siècle.

 

     Le vocable « Torneamentum » apparaît pour la première fois dans les textes en 1066. À partir de cette date il n'aura de cesse de se développer en France.

 

     À quoi ressemble le tournoi au XIIème siècle ?

 

     Avant tout chose, précisons que le tournoi est un jeu, un jeu violent certes, mais assurément un jeu. Il prend la forme d'un combat de plaisance, d'une guerre simulée.

 

    Nous allons tenter de brosser ici une description du tournoi tel qu'il était pratiqué à la fin du XIIème siècle.

 

     Nous verrons tout d'abord où et quand se tenaient ces rencontres, qui y participaient, de quelle manière et enfin quelles étaient leurs motivations.

 

     La France du nord est le berceau historique des tournois.

 

     La plupart des combattants est issue des provinces du Parisis, du Valois, de la Brie, de la Champagne, de la Flandres, de la Normandie, de la Bourgogne et du Poitou (seule province à ne pas faire partie des principautés françaises du nord). La France est ainsi le paradis des tournoyeurs.

 

     Les rencontres s'y déroulent aux marches des provinces, souvent loin des villes et des châteaux.

 

 

     Après avoir choisi un lieu pour la rencontre, on fixe des limites de « jeu ». Elles sont souvent très vagues. Le champ de manœuvre est « open Field ». Bien souvent on prend l'étendue séparant deux villages ou quelques fois le hasard de la rencontre entre deux équipes décide du théâtre des opérations.

 

     On « tournait » à la belle saison, au printemps principalement. Les dates étant choisies et fixées en rapport avec des fêtes religieuses (Pentecôte, Pâques).

     Les « miles » qui viennent tournoyer (ou « tourner ») sont essentiellement composés de « Juventes ». Cette « classe » est celle des chevaliers adoubés qui se situe entre leur apprentissage et leur mariage. Les plus nantis jouissent de « l'aide et du patronage » de leur père, de leur oncle ou de leur suzerain. On leur verse une rente, une pension en deniers, pour financer leur « sport ».

 

     Ils supportent à leur tour le train de vie des autres Miles en les engageant ou en les entretenant auprès d'eux au sein d'un « Conroi ».

 

     Certains champions étaient très convoités et les grands capitaines se les arrachaient comme le feraient aujourd'hui les clubs de football lors d'un transfert de joueur.

 

     Les équipes étaient composées de nombreux cavaliers (miles equites), regroupant indifféremment chevaliers et sergents montés. Elles possédaient également de l'infanterie en nombre (miles pedites).

 

     Vers 1180, le Comte de Flandre possédait une équipe de deux cents chevaliers environ, auxquels venaient s'ajouter des sergents à cheval ainsi que des gens de pieds (qualifié de sergent).

 

 

     Une équipe se divisait elle-même en une myriade de petits groupes. On les nommait « conroi ». Les Miles s'y regroupaient par liens d'intérêt, de solidarité, d'amitié, de clientélisme, d'origine géographique, familiale, parfois tout à la fois.

 

     Le tournoi permet aux combattants désœuvrés (chevaliers) d'avoir un exutoire tout en entretenant leur vaillance et leur aptitude à combattre. Mais le tournoi n'est pas seulement une projection ludique de l'agressivité et une activité formative de la chevalerie, il est aussi un jeu vénal dont les enjeux sont des gains énormes pour qui saura se les accaparer.

 

     Les chevaliers ambitionnent évidement de briller, d'acquérir du renom. Mais ils envisagent aussi de s'approprier, de prendre, de remporter un maximum de rançons, d'armes ou de chevaux.

 

     Le tournoi est le lieu de tous les dangers. On court le risque d'être « mis à merci » et de se voir dépouiller de son harnois, de ses armes, de son destrier, ainsi que de sa parole ou de sa personne que l'on récupéra contre rançon.

 

     Les tournois favorisent d'ailleurs la circulation des pièces de monnaies en cette fin de XIIème siècle dynamisant durablement le système monétaire.

 

     Lorsqu'on est vainqueur et riche, il faut tenir son rang, on dépense donc naturellement les fortunes acquises. On joue aux dés ou au tric-trac. On achète de nouveaux chevaux. On fait remailler son haubert chez le haubergier ou redresser son heaume. En un mot, on « flambe » !

 

     Au regard des enjeux financiers et des rivalités existantes entre les belligérants, la mentalité des tournoyeurs de ce temps n'était pas empreinte de ce que nous désignons aujourd'hui sous l'anglicisme « fair-play ».

 

     La chronique de Guillaume le Maréchal, le « plus grand chevalier du monde », figure emblématique du tournoi au XIIème siècle, raconte que ce dernier s'assit un jour sur un adversaire mis à terre afin qu'il ne puisse prendre la fuite pour pouvoir ainsi le dépouiller...

 

     Gislebert de Mons nous rapporte une autre anecdote illustrant cela : en 1175 entre Braisnes-sur-Vesle et Soissons se tint un tournoi qui opposa le comte de Flandres au Comte de Clermont-en-Beauvaisis. Le Comte de Flandres et ses deux cents chevaliers attendent leurs adversaires sur une hauteur à proximité de Braisnes où le Comte adverse se cache. La nuit étant tombée, les Flamands se lassent et quittent leur position. C'est le moment que choisissent français et Champenois, forts de 120 sergents à pieds, pour quitter leur position et fondre sur eux. Les Flamands sont d'abord mis en déroute, mais l'emportent in extremis, de nuit, grâce à leur infanterie appelée en renfort.

 

 

     Au tournoi, comme à la guerre tous les coups sont permis pour l'emporter. Le concept de « fair-play » n'est pas identique au nôtre. On peut simplifier en disant qu'il importe de remporter la victoire avec panache et stratégie. « Les mauvais coups » sont admis si ils sont perpétrés avec la manière dans le seul but d'asseoir son succès.

 

     Dès les premiers temps, les autorités ecclésiastiques ont mis à l'index le jeu du Tournoi. En 1130 au concile de Reims et de Clermont, puis en 1179 au concile de Latran III elles dénoncent « ces déplorables réunions ou foires que l'on appelle vulgairement tournois où les chevaliers ont coutumes de se rendre »...

 

     L'église prend des sanctions contre les tournoyeurs car, pour elle, le tournoi est « occasion de mort d'homme et de péril des âmes ».

 

     Effectivement, il arrive parfois qu'on meure au tournoi. Les enjeux grisent les combattants ou une rancœur reste tenace d'une rencontre à l'autre, les esprits s'échauffent alors et les combats deviennent moins ludiques...

 

     À ce sujet, notons que les armes courtoises (émoussées) ne sont attestées qu'à partir du XIIIème siècle. Il est vraisemblable qu'elles aient néanmoins été déjà utilisées à la fin du XIIème siècle.

 

"Une journée à tourner"

  •      Au matin les tournoyeurs s'arment face au « recès » (palissade de bois servant de refuge pendant la partie pour se reposer).
  •      Un signal est donné, les équipes prennent place dans l'aire de « jeu ». Cette zone est variable et n'est pas matérialisée. Il peut s'agir de l'espace entre deux villages ou bien d'une ville elle-même (Maastricht fut le théâtre d'un tournoi urbain).
  •      Une fois les hostilités ludiques engagées chaque « capitaine » engagent ses « conrois » et ses sergents dans le jeu.
  •      Un peu avant la fin du jour, chacun regagne son camp. On déclarait alors le tournoi terminé.
  •      Commençait alors un autre jeu, celui du commerce au sens large. On payait rançon, rachetait chevaux et armes, jouait ses gains, etc.
  •      Mais déjà on préparait sa participation à la compétition suivante.