Photographie en-tête : Philippe Dumay

- La soule à la crosse -

Par Bernard

Rédigé le 15 mai 2008

Remarque : Toutes les photos présentes dans cet article ont été prises lors d'un rassemblement du

collectif 1186-583, à Verrière dans le Cantal.

Merci à Marc, Yann et Damien de s'être prêtés au jeu. 

Faute ! Crochetage de la jambe avec la crosse. Mais que fait l'arbitre ?

Quelque part en Auvergne, on occupe son temps libre par une bonne partie de soule à la crosse.

     Aux XIIe et XIIIe siècles, le « sport »1 peut paraître réservé à la noblesse ou au clergé (i.e. la population qui a le plus de temps). Cependant, « ceux qui travaillent » avaient aussi leurs activités physiques quand ils en avaient le temps2. L'une d'elles est pratiquée tout au long du Moyen-âge3 : la soule à la crosse.

 

Qu'est-ce que la soule à la crosse ?

     

     Pour faire simple, il s'agit d'un jeu pour lequel il faut amener une « balle » (ou quelque chose qui en fera office) à l'aide d'une crosse dans une zone qui sert de « but »4. On n'a aucune information concernant d'éventuelles règles supplémentaires. En bref, ce serait un « proto-hockey ».

 

Qui peut jouer ?

 

     À priori, beaucoup de monde peut jouer : les adultes, ruraux ou urbains5, les enfants6, les prêtres (par exemple, l'archevêque de Rouen Eudes Rigaud (v. 1205-1276) s'indigne en 1248 du comportement d'un prêtre de son diocèse jouant avec ses ouailles) et peut-être même quelques membres de la petite noblesse7. Par contre, il semble que les joueurs soient exclusivement masculins8. Il est certain que le jeu est rude mais il ne semble pas que la violence gratuite soit tolérée : les bonnes manières restent de mise9.

 

     Maintenant, viennent les questions concernant la reconstitution :

  • À quoi ressemblent les crosses et les balles ? Comment et avec quoi les faire ?
  • Comment définir les zones d'en-but ?

 

À quoi ressemblent les crosses et les balles ? Comment et avec quoi les faire ?

Figure 1 : (en haut, à gauche) Codex Justinianus, f.44, Bologne, 3e quart XIIIe, Angers-BM-ms.0339.

(En haut, à droite) Église de la Martyre, XVe © Musée de Bretagne. Cliché Alain Amet.

Image tirée de « le sport au Moyen-âge » par B. Merdrignac.

(en bas) Grandes Chroniques de France, f.166, Anjou, vers 1460, Châteauroux-BM-ms.005.

 

     Sur la figure 1, on peut voir trois exemples de crosse datant de trois époques différentes. Il semble bien qu'il existe des objets exclusivement destinés au jeu et non des outils agricoles (comme les crosses de berger, voir figure 2) détournés de leur utilisation première. Cette hypothèse peut être confirmée par l'existence de deux « crossetiers » à Paris en 129210. Cependant, il est probable que l'on puisse utiliser de simples bâtons11.

Figure 2 : bible dite de Maciejowski, f.25v., France, mi-XIIIe,

Pierpont Morgan Library, New-York.

 

     Pour les reconstituer, le plus simple a été d'utiliser des branches qui, naturellement, avaient une forme approchant les sources de la figure 1 et de les tailler légèrement pour les rendre adaptées au jeu. L'essence de bois utilisée correspond à un bois courant, en l'occurrence, ici, du bouleau (voir figure 3).

Figure 3 : Cette crosse est faite à partir d'une branche de bouleau.

Le manche est arrondi, la partie qui sert à frapper la balle est aplatie.

 

     Les balles, quant à elles, peuvent être « tantôt en bois, tantôt en cuir, rempli(es) dans ce dernier cas de foin, de son, ou de mousse, ou gonflé(es) d'air »12. Deux essais ont été effectués ; le premier avec un sac rempli de foin, le deuxième avec une balle en bois. Le sac rempli de foin semble trop léger pour permettre un jeu intéressant mais il a l'avantage d'être moins dangereux pour les participants. La balle de bois est d'utilisation plus facile pour le jeu et résiste bien au rude traitement que lui font subir les joueurs.

 

Comment définir les zones d'en-but ?

 

     Les buts pouvaient être « un mur, la limite d'un champ, la porte d'une église, une raie arbitraire, très souvent une mare dans laquelle il fallait ''noyer'' la soule »13. Toujours est-il que ce but doit être clairement défini et visible par tous (voir figure 4).

Figure 4 : BUT ! Les zones d'en-but choisies sont deux éléments naturels

facilement repérables par tous. Ici, il s'agissait de deux rochers affleurants.

 


Comment reconstituer le jeu ?

 

     Une partie de soule à la crosse est une activité ludique très agréable lors d'un rassemblement médiéval. Mais, comme beaucoup de sports de balle, les participants sont obligés de rentrer en contact les uns avec les autres. Il faut donc s'attendre à finir la partie avec quelques ecchymoses, même si tous les joueurs sont les plus raisonnables qui soient. Il est indispensable que tous les protagonistes prêtent une grande attention à la position des équipiers et des adversaires tout au long du jeu.

 

Ci-dessus : la lutte pour la balle (ou la soule) est acharnée mais toujours dans la bonne humeur.

 

 

Voici deux petites vidéos illustrant le joyeux bazard que pouvait être une partie de soule à la crosse.

Vidéos tournées à l'Opus Manuum 2010. 

Notes :

 

  1. Voir à ce propos l'excellent livre de Bernard Merdrignac « le sport au Moyen-âge » (Presses Universitaire de Rennes) qui sert de référence pour cet article.
  2. « le sport au Moyen-âge » par B. Merdrignac, Presses Universitaire de Rennes, Chapitre 3, § IV.C, p.127.
  3. Ibid., Chapitre 7, § I.B, p.217-218.
  4. Ibid., Chapitre 7, § I.C, p.220.
  5. Ibid., Chapitre 7, § I.C, p.219.
  6. Dans « l'estoire de Merlin » (v. 1230), Merlin, enfant, joue à la soule à la crosse avec d'autres enfants.
  7. « le sport au Moyen-âge » par B. Merdrignac, Presses Universitaire de Rennes, Chapitre 7, § III.B, p.229.
  8. Ibid., Chapitre 3, § IV.C, p.126.
  9. Ibid., Chapitre 7, § II.C, p.225.
  10. Ibid., Chapitre 7, § I.B, p.218.
  11. Ibid., Chapitre 7, § I.B, p.218-219.
  12. « Les sports et les jeux d'exercices dans l'ancienne France » par Jean-Jules Jusserand, Slatkine, p 266-267.
  13. « le sport au Moyen-âge » par B. Merdrignac, Presses Universitaire de Rennes, Chapitre 7, § I.C, p.220.