Photographie en-tête : Frédéric Coune

- Psychologie et comportements chevaleresques aux XIIe et XIIIe siècles -

Par Philippe Ghisolfo et Julien Braconnier

 

Publié en avril 2003 dans

"Au temps des croisades - De Louis Le Gros à Philippe Le Bel",

édité par l'Association pour l'Histoire vivante.

 

(Photo de couverture : Frédéric Coune)

Chevalier du Saint Empire Germanique (1195-1200) - Photographie de Frédéric Coune

  

     Au regard des quelques lectures, sources et informations, dont peuvent disposer « relativement » facilement les acteurs de « L'Histoire Vivante » que nous sommes, nous vous proposons une synthèse rapide de notre vision de la chevalerie à l'apogée de son histoire.

 

     Le monde occidental des XII et XIIIeme siècles est par bien des aspects différent du nôtre. Les mentalités de ses contemporains étaient à l'évidence, le produit d'une société radicalement différente; des connaissances scientifiques embryonnaires, une vie spirituelle prédominante et très active, une vie souvent précaire pour le plus grand nombre etc.

     

     Mais au-delà de ce constat (qu'il faut savoir nuancer) l'homme et plus précisément l'élite militaire que sont les chevaliers de cette époque était-il si différent de nous ? L'homme du XXIeme siècle peut-il se retrouver dans les comportements et les valeurs des ces « héros » du passé ?

1- Le jeune chevalier : un adolescent soldat

     Comprendre ce qui anime et ce qui motive le jeune chevalier fraîchement adoubé, au-delà des circonstances historiques, spirituelles et culturelles du moment, demande que l'on se penche un peu plus sur les mutations qui s'opèrent et que doit assumer un adolescent ordinaire, dans une situation extraordinaire.

Chevalier équipé par son écuyer - Photographie de Frédéric Coune

     Le passage de l'adolescence au monde des adultes est un moment difficile à négocier pour un homme (humain), tant les changements qu'il subit sont nombreux. Certains rituels, comme l'adoubement (dotation du matériel militaire qui sanctionne de longues années d'efforts, de sacrifices, d'apprentissage des us et coutumes de ses contemporains et d'entraînement à l'art de la guerre) peuvent en faciliter l'acceptation. Mais les jeunes chevaliers ne doivent pas moins assumer un certain nombre de changements dans leurs corps et leurs esprits. Ces soldats d'élite sont les membres d'un groupe, sans cesse en compétition, qui ne souffrent pas la médiocrité, au risque d'en payer le prix fort (dans tous les sens du terme). La confiance du jeune récipiendaire n'est pas encore toujours affirmée ; il subit la pression de son propre serment, le fardeau du jugement de ses pairs et celui du regard des dames, qui sanctionnent par leur admiration ou par leur indifférence implacable, l'efficacité ou la faillite de son engagement. Encore aujourd'hui, comme le dit le docteur Catherine Dolto, les commentaires critiques et dévalorisants peuvent être souvent ressentis par les adolescents comme insupportables. Dans le contexte d'un jeune chevalier, sensible à tout ce qui le valorise, une remarque vexante pourrait le pousser à des actes de pure folie ; nous les appellerions prouesses et exploits s'ils aboutissaient avec succès ou bien actes suicidaires s'ils se concluaient par échec. Il a le dos au mur et la défaite ne peut lui être permise. S'il échoue, il encoure une ruine sociale, où des sanctions civiles voire religieuses peuvent être prononcées à son encontre. Il peut se voir accuser de félonie ou frapper d'excommunication, le condamnant au bannissement et à la honte. Cette déroute peut également revêtir un aspect économique, car la rançon qui consiste en un dépouillage systématique du matériel et des richesses du vaincu est une pratique courante à cette époque. Enfin, c'est la blessure, ou plus rarement la mort, qui anéantissent tout espoir.

     Ce jeune homme n'attend en fait que les signes de reconnaissance et de respect de son environnement et de sa catégorie sociale pour établir solidement sa personnalité.

     Il subit plus ou moins inconsciemment une forte attirance vers un groupe qu'il aura choisi. Il est encore un individu à la personnalité et au tempérament malléable. Il souhaitera fortement s'intégrer et fera tout pour se faire reconnaître de ce groupe. Ce phénomène s'accentue avec le degré d'élitisme de celui-ci. On peut notamment illustrer de nos jours cette manifestation par l'acceptation de certains rites initiatiques humiliants et autres « bizutages » dans certaines écoles renommées.

     S'il reconnaît une autorité et lui voue toute confiance, l'adolescent peut être endoctriné, manipulé à loisir. Dans le cas d'un jeune chevalier qui a prêté serment devant Dieu et a juré allégeance à un seigneur, un roi, (à qui il doit tout) ce que cette autorité reconnue de lui et du groupe auquel il appartient lui dira de faire, il le fera. Il est conditionné depuis son plus jeune âge pour cela.

     Cet enthousiasme et cette volonté de prouver sa vaillance et sa loyauté le pousseront parfois à quelques « débordements ».

     C'est d'ailleurs en réaction aux ruines des récoltes occasionnées par la répétition fréquente de « rixes », rapines et autres exactions commises sur la population, qu'au cours des Xe et XIe siècles, des « communes » (groupements organisés d'habitants) protestent et aboutissent à un pacte social et spirituel nommé « Trêve de Dieu ». Robert Fossier dans « L'éveil de l'Europe, 950 - 1250 » nous dit que cette codification prend d'abord localement son origine en 987 au concile du Puy, s'étendant ensuite à l'ouest en 989 à Charroux, et prendra finalement sa forme définitive en 1037 et 1041 au concile d'Arles. Il sera désormais interdit de guerroyer du mercredi soir au lundi matin. Un siècle plus tard, (1155), Louis VII au concile de Soisson décrétera la paix pour dix ans dans tout le royaume, afin de mieux asseoir son pouvoir féodal.

     Nous sommes dans un contexte où l'honneur est de mise. De tous les interdits sacrés, de tous les péchés capitaux, l'orgueil est souvent celui qui frappe le chevalier. Ce péché caractérise aussi fréquemment l'adolescent, de quelque époque qu'il soit. Il doit faire ses preuves, pour « épater la galerie », afin de s'assurer une intégration, une reconnaissance, pour ne pas dire une relative domination au sein de ses amis (es). Il se distinguera dans des domaines aussi variés que le sport, la culture mais aussi se risquera-t-il à des actes parfois fort condamnables de violence, de provocation et de transgression des interdits, qui suscitent dans certains groupes d'adolescents, une forme d'admiration proche de la crainte et de soumission. Son point de mire étant l'adulte, il essayera de l'imiter, de le dépasser en bien, ou en mal.

     C'est ce paradoxe, ce dysfonctionnement qui caractérise l'adolescent. Il veut s'affirmer en tant qu'individu omnipotent et indépendant, mais ne peut le faire sans se référencer à un groupe, à un schéma collectif.

     Le psychiatre Xavier Pommereau dit d'ailleurs à ce sujet que « l'adolescence est par nature l'âge des contraires et des réalités doubles puisque la métamorphose pubertaire laisse croire que ce que l'on voit correspond à ce que l'on pense ou ressent. »

     Le jeune chevalier est donc dans la majorité des cas, un jeune homme sur le front de sa propre métamorphose, sur l'inconscient champ de bataille de l'auto-confrontation psychophysiologique.

     Ce sont ces chamboulements qui le pousseront toujours plus loin dans les exploits, les prouesses et les prises de risque, sur le théâtre d'une guerre, d'un tournoi ou de toutes autres formes d'affrontement.

     Enfin, la pression sociale qui s'exerce sur le chevalier, occasionnée par son rang, présente tout au long des chansons de geste et des romans du XIIeme siècle, s'appliquera durant toute de sa jeunesse. Un terme d'ailleurs symbolise le chevalier qui renonce à son destin de combattant. Il est « recréant » du verbe "recroire", ne subsistant en français moderne que dans le terme "recru", qui signifie "s'épuiser dans le combat", "abandonner le combat", "s'avouer vaincu" et ici, dans le passage qui suit "trahir l'idéal chevaleresque" :

 

2460 Que granz diaus iert et granz damages C'était grand peine et grand dommage de

2461 Quant armes porter ne voloit voir tel baron refuser de porter les armes.

2462 Teus ber come il estre soloit. Il fut tant blâmé par toutes gens, des

2463 Tant fu blasmez de totes janz, chevaliers et sergents, qu'Enide les

2464 De chevaliers et de serjanz, entendit dire que sont mari était las des

2465 Qu'Enide l'oï antredire armes et de chevalerie. Il avait bien

2466 Que recreant aloit ses dire changé sa vie.

2467 D'armes et de chevalerie;

2468 Mout avoit changiee sa vie.

(Erec et Enide Chrétien de Troyes vers 1170) 

 

2- La base de la pensée chevaleresque

     Le chevalier et sa vie sont marqués par les rites, qui revêtent pour lui une grande importance.

     Le premier d'entre eux conditionne sont statut. Cette étape pourrait être comparée à l'obtention du baccalauréat dans notre société moderne. Il est l'entrée dans le monde de la chevalerie et ce passage semble être vécu comme le jour le plus important de la vie. Il semble même que les chroniques retiennent plus le jour de l'adoubement que le jour de naissance du chevalier.

 

Photographie de Frédéric Coune

     

     Il est vécu comme le passage à la vie adulte. Outre le « sacrement militaire », il correspond à l’accès à la caste des chevaliers et à ses valeurs.

     Le rite de l'adoubement met en exergue de façon symbolique l'une d'entre elle : la vaillance, par l'épreuve de la Colée. Au premier jour, le chevalier doit déjà faire ses preuves (chose qu'il fera incessamment toute sa vie...) en accusant sans broncher cette gifle rituelle. En effet, la base de toute la mentalité chevaleresque repose sur le jugement, et ce, qu'il soit émis par ses pairs ou par l'institution religieuse. Cette omniprésence du jugement conditionne en permanence les actes du chevalier et a favorisé la mise en place d'un code social très encré dans l'état d'esprit chevaleresque.

 

Photographie de Frédéric Coune

     Sans parler de code écrit, les valeurs morales de la chevalerie sont loyauté, prouesse, mesure, largesse et courtoisie.

 

     La Loyauté est la vertu première du chevalier. C'est bien normal lorsqu'on considère que cette notion est la clef de voûte de toute la société féodale. Sans elle, les fondations du système s'effondreraient et régnerait alors le chaos.

 

     La vie même du chevalier est rythmée par cette notion, de l'arrachement du foyer familiale pour la maison de son tuteur*, son adoubement ou les liens qu'il tisse avec ses pairs sont tous marqués du sceau de la fidélité et de la peur sourde de la traîtrise.

 

     Le Courage est porté également au premier rang des aptitudes morales. La littérature, à travers les chansons de Geste en font l'apologie à chacun de leurs vers. Les jeunes chevaliers en étaient abreuvés des heures durant, ils devaient certainement en résulter un goût prononcé pour l'exploit et la mise en avant de soi (notions qu'il faut nuancer et sur lesquelles nous reviendrons plus tard). En effet, même si la religion joue un grand rôle dans la pensée chevaleresque, surtout au XIIIe siècle, la vanité reste un rouage essentiel de l'état d'esprit des chevaliers. Le chevalier est vaniteux, sans nul doute, et celui-ci se place parfois au dessus de la morale sans que personne ne s'en offusque. La recherche de la renommée fait parfois faire des actes que nous jugerions déloyaux, et bien loin de ce que l'on imagine d'un comportement que nous qualifierions de chevaleresque. Aux XIIe et XIIIe siècles, il n'en est rien, si ces infamies sont faites avec la manière et le panache. Pour illustrer notre pensée, replongeons nous en 1168, au tournoi de Gournay-Ressons, l'équipe du comte Philippe de Flandres affronte celle de Baudouin V de Hainaut.

     En ces temps, le tournoi se déroulait sur un territoire vaste où plusieurs chefs de guerre menaient leur troupe dans une guerre simulée mais où les contacts étaient bien réels, un jeu assez dangereux. Geoffroy Tuelasne, Féal de Baudouin V de Hainaut, attaque par surprise (de côté) le chef Flamand. Ce dernier est touché en pleine poitrine et désarçonné. Le coup peu glorieux à nos yeux sera néanmoins vanté dans une chronique, celle de Gislebert de Mons rédigée autour de 1170. Pourquoi Geoffroy n'a-t-il pas été blâmé ? Car il a utilisé une botte à la lance, nommé « coup de fautre », cette prouesse technique d'escrime équestre lui vaut alors l'admiration de ses pairs et la reconnaissance de ses aptitudes guerrières, non pas l'opprobre et la mise au banc.

     Une autre caractéristique de la mentalité du chevalier est son rapport à l'argent. Il est incontestable que la richesse n'est pas une vertu chevaleresque alors que la recherche du gain est indissociable de l'état d'esprit du chevalier.

     Pourquoi cette contradiction ?

     Chaque chevalier a une conscience aiguë du coût de son occupation. Lui-même a une valeur, elle se manifeste sous la forme de la rançon. Sa vie de combattant, il l'occupe par l'objectif quasi systématique de mettre en sa merci les autres chevaliers aux fins de les faire racheter.

     Citons ici à titre d'exemple Guillaume le Maréchal, que l'on vit, à l'occasion d'un tournoi, s'asseoir sur un chevalier vaincu pour éviter qu'il ne prenne la fuite et ainsi être certain d'en tirer rançon...

     Une fois argenté, le chevalier va s'empresser de dépenser son pécule (en équipement, en chevaux), de le distribuer (sans parler d'aumône, disons plus certainement dans le but intéressé de s'attacher une « clientèle » plus nombreuse.... Dons au seigneur) ou bien encore de le dilapider en festivités offertes au plus grand nombre.

     Car même s'il semble mépriser l'argent, le chevalier est conscient qu'il est indispensable à l'exercice de son activité et le moyen de tenir son rang. Le chevalier reste un être très vénal, comportement qu'il est nécessaire de canaliser.

     Pour ce faire, l'apologie de la sagesse est faite dés l'enfance. On la considère comme garante de l'ordre social. Ainsi on enseignait aux jeunes chevaliers les bonnes manières, la maîtrise de soi, le fait de parler chacun à leur tour, les jeux de réflexion comme les échecs. Les règles de l'étiquette. Néanmoins, précisons que la lecture et l'écriture restent rares, et souvent associées au monde des clercs.

     Faire de la mesure un des piliers des valeurs morales de la chevalerie prend tout son sens au regard de leur rôle primordial dans la société tripartite des XIIe et XIIIème siècles exposée par Adalbéron de Laon, celui de défendre les deux autres ordres.

3- La pensée guerrière

3-1- La diffusion des valeurs Chrétiennes dans la mentalité Chevaleresque

     L'église s'est efforcée de refreiner par tous les moyens sa plus grande peur : le désordre. Elle lutte dés le VIIIe siècle contre l'insécurité générée par les actes de pillages, de discorde, en un mot contre la violence des miles.

     Dans ce combat, elle impose peu à peu « la trêve de Dieu » (comme développée plus haut), jette l'Anathème sur les guerriers déloyaux (notamment les arbalétriers et les archers en 1139 à Latran) et discrédite les éléments les plus turbulents en usant de sa propagande.

     Mais l'église fait mieux qu'interdire, elle utilise les « fauteurs de troubles » pour résoudre ce problème. Elle va s'employer a régir peu à peu l'éthique même de la chevalerie. Elle va transformer le guerrier saccageur en chevalier de la Paix. Elle s'approprie au XIIIe siècle le rituel de l'adoubement. Elle développe et entretient le concept de « Juste Guerre », de « Guerre Sainte » . Elle impose la collaboration de Dieu au monde des Miles avec par exemple la bénédiction de ses armes.

     Par elle la Noblesse Chevaleresque acquière une dimension spirituelle qui lui donne sa légitimité au sein de la société tripartite. Dés lors, les chevaliers n'auront de cesse d'avoir à l'esprit qu'ils combattent pour Dieu, mais aussi par Dieu.

 

3-2- Le chevalier au combat

Photographie de Frédéric Coune

     

     Comme nous l'avons vu plus haut, les sources mettent en lumière et font l'apologie de l'exploit individuel ainsi qu'elles exaltent le chevalier errant en quête. Ce schéma qui nous a survécu sous la forme de l'image d'Epinal que nous connaissons tous, reflète-t-il une réalité aux XIIe et XIIIe siècles ?

 

     Dans les faits, il semble que ce model n'est pas été fort respecté. Le comportement solitaire et l'isolement ne sont pas dans les us des chevaliers. Cet état est plus certainement vécu comme une punition par la classe des miles.

     Citons ici l'errance de Guillaume le Maréchal, après que le chef de sa maisnie l'ai prié de le quitter après l'avoir soupçonné d'avoir eu une aventure amoureuse avec la reine. Guillaume erre honteux et désoeuvré, mais se réfugie vite auprès du Roi de France. George Duby déclare dans l'analyse de la chronique de Guillaume le Maréchal qu'il est même louche de voir un chevalier seul... les autres miles semblent se méfier de ce genre de personnages.

     Le chevalier doit certes s'efforcer de briller individuellement, mais aussi au sein du groupe, sans quoi il n'est plus reconnu. Ces groupes, ces Conrrois, on les trouvent partout aux XIIe et XIIIe siècles, surtout en France du Nord, attirés par les tournois qui s'y déroulent.

     Le chevalier s'identifie à Roland pourfendant ennemis, selleries et montures d'un seul coup de Durandal, à l'instar du jeune cinéphile qui, au regard des « chansons de gestes hollywoodiennes », est ébloui par John Mc Lane (alias Bruce Willis) mettant en échec une horde de terroristes sanguinaires armés jusqu'aux dents. Le chevalier se met-il alors en situation de péril dans les faits au même titre que dans la chanson de Roland ? Pas tout a fait...

     Il semble que les prises de risques soient mesurées. Tout d'abord, le chevalier se prémunie de toutes les manières des risques trop grands de blessures critiques ou de mort. Il s'enferme de plus en plus, au gré des innovations, dans un harnais complexe et au demeurant relativement pesant et handicapant (bien que son statut de cavalier nous fasse nuancer notre affirmation).

     D'autre part, le système de la rançon lui garantit la clémence de ses adversaires. Le chevalier a conscience de sa valeur « marchande », réciproquement il connaît celle de ses pairs.

     De ces deux facteurs conjugués, il apparaît que l'état d'esprit du chevalier au combat (lorsqu'il affronte un autre chevalier) ne soit pas la recherche de la mort de l'autre, mais plus la mise en échec, la démonstration de sa supériorité au « jeu » de la guerre.

Chevalier d’Europe occidentale (1280-1320 ) - Photographie de Frédéric Coune

     Comme le dit Claude Gaier, la guerre ou le tournois prennent alors des « accents ludiques » où la mort est un « accident funeste » pour citer Georges Duby. Pour illustrer cet état de fait relatons cette anecdote bien connue. Après l'assassinat du comte Charles en 1127, pendant un an la guerre sévit dans le comté de Flandres où s'opposent plus de mille Chevaliers. On dénombre sept morts en tout !

 

     Le premier d'entre eux est mort tué par une flèche, le second accusa le coup du lapin alors que le couvercle du coffre qu'il pillait se refermait violemment, le troisième chut de cheval, le quatrième tomba d'une échelle, le cinquième passa au travers d'un planché, le sixième mourut d'avoir fourni un trop grand effort à souffler dans son cor ! Le septième enfin, est presque l'exception qui confirme la règle, puisqu'il est le seul a être mort frappé par un adversaire lors d'une poursuite...

 

     Pour bien appréhender cet état d'esprit, il est, je pense, important de le rapprocher des comportements modernes réciproques qu'entretiennent les officiers de nations ennemies. Les querelles et les guerres n'entachent pas le respect mutuel dont ils s'honorent, il est le reliquat de cet esprit du corps chevaleresque.

 

       Il est néanmoins important avant de conclure, de préciser que parfois les liens qui lient les chevaliers, les serments réciproques, les profondes racines qu'entretiennent les lignages entre eux ne suffisent plus à garantir le guerrier.

     Parfois la haine est trop tenace, la rancoeur trop forte et on recherche la mort de l'autre. Citons ici un grand félon du début du XIIIe siècle, Renaud de Boulogne, qui défia la nation toute entière au cri de « Mort aux Français ».

     Loin de nous l'idée de rapprocher systématiquement la mentalité du chevalier et celle du jeune homme moderne. Néanmoins, nous avons tenté brièvement et humblement de démontrer que certains comportements demeurent intrinsèques à l'humain et s'affranchissent des époques. D'ailleurs, les recherches récentes nous ont permi de porter un regard neuf sur le monde de la chevalerie et de démystifier l'image romantique de l'époque féodale, échafaudée par les historiens et les écrivains du XIXe siècle.

 

Remerciements

     Les photos de cet article ont été prises au Château de Dourdan, Essonne.

 

Bibliographie

Le Dimanche de Bouvines (Georges DUBY)

Guillaume le Maréchal (Georges DUBY)

La Guerre au moyen age (CONTAMINE Philippe)

A la recherche d'une escrime décisive de la lance chevaleresque (Claude GAIER)

La Civilisation de lOccident médiéval (JACQUES LE GOFF)

La perception de soi (art. Catherine Dolto)

La tolérance (art. Catherine Dolto)

Le respect (art. Philippe Jeammet)

Les confrontations (art. Xavier Pommereau)

Les paradoxes et les contradictions (art. Xavier Pommereau)