Photographie en-tête : Benoît Millet

- Le furetage - De la fin du XIIe à la mi XIIIe siècle -

Par Laetitia

Rédigé en novembre 2009

     Pour les reconstituteurs possédant des furets de compagnie, il était très tentant de se pencher sur la place de ce petit animal et son utilisation dans le monde médiéval, et notamment au milieu du XIIIe siècle, période choisie pour a reconstitution de ces petites scènes de vie d'un fuiretor (officier de vènerie spécialisé dans le furet).

     La reconstitution médiévale ne fait pas la part belle aux animaux, tout juste une honorable place pour les chevaux. Et pourtant, ils sont omniprésents dans le quotidien de ces hommes et femmes dont la vie nous passionne tant.
     Il faut avouer que nous n’avons pas la tâche facile : outre un mode de vie de plus en plus urbain qui nous éloigne du monde animal, les animaux domestiques qui nous entourent ont souvent bien évolués et les spécialistes nous disent combien il est difficile, voire impossible de retrouver une vache ou un chien correspondant parfaitement aux critères physiques de l’époque.
     Pourtant, il en va autrement de ce petit animal espiègle qu’est le furet. Pensez donc : domestiqué à partir du putois, il se confond encore avec son ancêtre, est interfécond avec lui, et si nous ne possédons le crâne d’un individu, il est impossible de différencier un os de furet d’un os de putois.

Le furet fin du XIIème - mi XIIIème siècle ?

     De part les nombreux indices : ordonnances, comptes, littérature, iconographie et (moins fréquents) archéozoologie, nous savons que le furet était bel et bien présent auprès de l’homme du moyen-âge, et notamment de la fin du XIIème à la première moitié du XIIIème siècle. Il n’est donc pas anachronique pour ces périodes.

  • Textes officiels :

 

     Preuve de la présence du furet auprès des hommes du XIIIe, cette ordonnance (du XIIIe) nous livre l’indication suivante : " Que nul ne puist tenir fuiron, ne reiseus, se il n'est gentishoms ou s'il n'a garenne " Ordonnances des rois de France, t. 1, p.336

     La preuve la plus directe reste les comptes de 1239 de Louis IX qui citent ses furetiers qui permettent l’approvisionnement en lapin à St-Germain-en-Laye.

     On apprend par ailleurs qu’en 1334, le comte de Flandres possédait 2 furets. On commence cependant à sortir de la période étudiée. (Damme, Dirk van et Ervynck Anton " Médieval ferrets and rabbits in the castle of Laarne, a contribution to the history of a predator and its prey " Helinium XXXVIII/2, 1988, p. 278-284.

  • Littérature :

 

     Plusieurs exemples dans la littérature de l’époque nous permettent de retrouver les furets. Le Roman de Renard (ensemble de contes écrits entre 1170 et 1250) parle ainsi très rapidement d’un figurant nommé « Petitfouineur » le furet. Loin d’être un personnage important, il n’est que cité et deux fois seulement.

     Dans Méraugis de Portlesguez (Raoul de Houdenc entre 1200 et 1220) ou encore dans le Roman de la Rose (seconde partie écrite par Jean de Meun entre 1270 et 1280) on cite également des furets dans un cadre cynégétique :

" En avant, ils font porter par le nain un furet et quatre filets. " (Raoul de Houdenc)

" C'est lui qui mit les furets dans les tanières, les poussant à attaquer les lapins pour les précipiter dans les filets. "( Jean de Meun)

  • Iconographie

 

     Je n’ai malheureusement pas trouvé encore d’images se situant entre la fin du XIIe et la mi-XIIIe siècle. Cependant, quelques exemples intéressants sont à partager au moins sur le siècle suivant (les exemples se multiplient encore par la suite, mais s’éloignent vraiment trop de mon époque d'étude).


Psautier de la Reine Marie, 1310
Le Livre de la Chasse, Gaston Phoebus, 1387
Chasse au furet, Camera Cervi, 1343
  • Archéozoologie :

 

     L’intérêt de conserver ce genre de petits ossements lors des fouilles n’a été éprouvé que récemment, raison essentielle de la rareté des trouvailles archéologiques concernant les furets. De plus, il faut posséder un crâne pour pouvoir différencier le furet du putois. Ces conditions ont heureusement été réunies pour le seul exemple trouvé pour la période qui nous intéresse (1270-1350) : au château de Laarne en Flandres orientale (Damme, Dirk van et Ervynck Anton " Médieval ferrets and rabbits in the castle of Laarne, a contribution to the history of a predator and its prey " Helinium XXXVIII/2, 1988, p. 278-284.).

     Un crâne aux canines sciées a été ainsi découvert. Cette pratique, que certains chasseurs au furet pratiquent encore (le but étant d’empêcher le furet de s’attaquer directement au lapin et qu’il le « colle », alors qu’il n’est que censé le faire fuir de son terrier) identifie à coup sûr l’animal comme étant un furet et non un putois et prouve son utilisation pour le furetage.

Son utilisation?

     La chasse semble être la principale raison de la possession et de l’entretien des furets (le furetage). Pour témoins ces ordonnances royales interdisant la chasse aux non-nobles ou non possesseurs de terres qui interdisent par conséquent la possession (entre autres) de furets et de filets.

Ordonnance du XIIIe siècle :

Que nul ne puist tenir fuiron, ne reiseus, se il n'est gentishoms ou s'il n'a garenne " Ordonnances des rois de France, t. 1, p.336

Ordonnance du XIVe siècle :

Charles, par la grace de Dieu Roy de France. A tous ceuls qui ces lettres verront : salut. Il est venu à notre cognoissance par le rapport de plusieurs personnes dignes de foy, tant de notre Conseil que autres, que plusieurs personnes non nobles, Laboureurs et autres, sans que ils soïent à ce privilégiés, ne que ilz aïent adveu de personnes Nobles ou autres, aïans Garennes ou privilégies, ont et tiennes devers eulx chiens, fuirons, cordes, laz, fillès, et autres engins à prendre grosses bêtes rouges et noires, Connins, Lièvres, Perdrix, Faisans et autres bêtes et oyseaux, dont la chasse ne leur appartient ni ne doit appartenir ; ... " ... avons ordené et ordenons par ces présentes, que doresénavant aucun personne non noble de notre dit Royaume ... de ne avoir et tenir pour ce faire chiens, fuirons, cordes, laz, fillès, ne autres harnais ; et au cas que aucun desdis nobles autres que ceuls dessus déclariez, sera trouve aïant en sa maison chiens, fuirons, cordes, laz, fillés ou autres engins, ou tendant aux bestes et oyseaux ... Donné à Paris, le X° jour de Janvier, l'an de grace mil CCC.IV.XX et treize, et le XVII° de notre Règne. Par le Roy, en son Conseil ... ."

     Cette interdiction sous-entend pour moi une exclusivité cynégétique de l’utilisation du furet. Même si certains proposent un rôle de répulsif/chasseur de rongeurs au sein du cadre domestique, je me demande si on aurait privé d’un auxiliaire si précieux les paysans contre les mangeurs de grain. Si ce poste a un jour été dévolu au furet, il faut croire qu’au XIIIème siècle, époque de ces premières ordonnances, il avait déjà un remplaçant : le chat ?

Le furetage

     On retrouve dans les comptes royaux de Louis IX de 1239, trace de furetiers. Des officiers de vènerie consacrant leurs talents à l’entretien et l’utilisation des furets dans le cadre de la chasse aux lapins. Pas plus de renseignements concernant précisément le déroulement de la chasse au furet pour cette époque précise.

     Nous possédons cependant un témoignage minutieux et riche dans le fameux « Livre de la chasse » de Gaston Phoebus sur le furetage. Utilisés pour débusquer les lapins, les furets sont introduits dans les terriers où leur présence fait fuir les occupants par les autres issues de leurs garennes. Ces issues sont soit bouchées, soit barrées d’un filet permettant la capture du lapin. L’utilisation conjointe du chien pour rattraper les fuyards est attestée par l’iconographie XVème. L’utilisation du feu pour enfumer les garennes est aussi à noter. La pratique actuelle conserve le feu (ou les fumigènes), pour pouvoir récupérer les furets récalcitrants qui seraient restés dans les terriers.

     Quand on assiste à une chasse au furet actuelle, on réalise vite que rien n’a vraiment évolué. Cet aspect immuable de la chasse sur tant de siècles est assez intéressante car elle permet de justifier qu’on puisse combler nos lacunes dans la connaissance de la chasse XIIIème avec des données plus récentes

Quels furets?

  • Pelage 

 

     Dans le « Siege of thebes », en décrivant une chimère aux yeux rouges, l’auteur précise « et des yeux rouges comme tout furet », ce qui reprend une idée très répandue jusqu’à récemment que seul le furet albinos est un furet pur. Heureusement, l’iconographie nous montre des furets aussi bien blancs (albinos) que marrons (putoisés), ce qui permet d’utiliser les deux couleurs.

     Il est cependant fréquent d'entendre que l'albinos était préféré à son confrère "putoisé" pour la chasse, notamment la chasse au vol (combinaison d'un furet pour faire sortir les lapins de leur terrier et d'un rapace pour attraper ce dernier lors de sa fuite) car il est alors plus aisé pour le rapace de faire la différence entre le lapin et le furet qui suivrait la proie (propos tenus par des chasseurs au vol actuels).

 

  • Particularités physiques 

 

     Si dans le « Livre de la Chasse », une muselière est recommandée pour empêcher le furet de manger le lapin au lieu de le faire fuir, on sait de part des pratiques encore très récentes (il m’a été donné d’en voir par moi-même) qu’on sciait parfois les canines de ces animaux, les privant ainsi de leur seule arme : une jolie dentition de carnivore.

    Cette pratique montre ainsi sa continuité au cours des siècles, grâce à la découverte du château de Laarne, citée plus haut.

Une continuité indéniable

     Pour conclure ce petit tour d'horizon des quelques sources historiques à notre disposition pour la période étudiée, nous pouvons conclure qu'il y a une étonnante continuité dans le temps des pratiques cynégétiques entourant les furets. Ainsi, il peut être envisagé de combler les lacunes des sources par l'utilisation de renseignements d'autres siècles, ou même des pratiques actuelles, en gardant toujours à l'esprit que ce sont des extrapolations. Extrapolations qui peuvent faciliter la reconstitution d'un personnage de furetier, notamment. Je prendrais comme exemple la réalisation future d'un panier pour loger les furets pendant leur déplacement, selon des sources XVe (et rencontrés encore à l'heure actuelle chez des chasseurs) pour remplacer la besace de cuir qui nous avait servie pendant la réalisation des photos qui vont suivre dans cet article

Lâcher de furet dans un terrier. Des chasseurs attendent à la sortie de la garenne pour capturer les lapins. Marc Moulin (Opus Manuum - 1186-583), Damien Schmitz (1186-583), Bernard Martini (Fief - 1186-583), Tuan, Benoît Millet, Yann Kervran (1186-583)
Remise en besace du furet. Marc Moulin (Opus Manuum - 1186-583), Bernard Martini (Fief - 1186-583) et Tuan (Photo : Damien Schmitz)
Récupération d'un furet albinos à la sortie du terrier. Marc Moulin (Opus Manuum - 1186-583), Bernard Martini (Fief - 1186-583), Tuan et Ufo (Photo : Y. Kervran)
Les furetiers et leurs auxiliaires. Marc Moulin (Opus Manuum - 1186-583), Bernard Martini (Fief - 1186-583), Tuan et Ufo (Photo : Yann Kervran)
Les furets au repos Tuan et Ufo (Photo : Damien Callixte Schmitz)

Bibliographie- sources

     Une grosse partie de mes sources vient du site d'Olivier Cornu (un furet en ville) auquel j'ai essayé de contribuer à l'époque par 2 indications (re citées ici) :

http://furo.chez-alice.fr/

     C'est un site qui aspire à l'exhaustivité de ses trouvailles et il en résulte beaucoup d'informations sur le furet dans beaucoup de domaines.

     J'ai rencontré son auteur sur un rassemblement furets il y a quelques temps, et j'ai pu constater qu'il était plutôt intarissable dans le domaine ;)

     Ajoutez-y une lecture précise du passage nous concernant dans le "Livre de la chasse" de Gaston Phoebus.

     Quelques données éparses dans "Saint Louis" de Jean Richard.

     Le tout comparé aux pratiques des chasseurs actuels pratiquant soit le furetage classique (furets/filets), soit la chasse au vol (furets/rapaces).


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